Bonjour Mavado, peux-tu nous parler de toi, s’il te plaît ? Tu fais des dessins terribles, et tu sembles être un artiste hors du commun dont on retrouve les œuvres dans de très nombreuses publications. Depuis combien de temps couches-tu sur le papier tous ces fantasmes martiaux et brutaux, tout ce porno homosexuel ? Peux-tu me parler des sources d’inspiration qui alimentent ton imagination?
Je vais parler assez peu de moi parce que je considère que la sur-exposition de son intimité est une des plus graves maladies contemporaines ! Qui je suis dans la vie ne me semble pas important à connaître pour les autres (en tout cas ça ne devrait pas être important). Je préfère largement que les gens se concentrent sur mes dessins !
Donc en deux mots, je vis en France, et je gagne ma vie en tant que graphiste (je fais des mises en page de documents administratifs).
A propos de mon travail artistique, je fais des dessins et des bande dessinées depuis que je suis enfant, et aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours voulu représenter des scènes sexuelles et violentes. Mais pendant des années et des années, je n’étais pas du tout satisfait du résultat ! J’ai réalisé des milliers de dessins ratés que je ne montrerai jamais à personne. J’utilisais alors la technique classique des auteurs de BD : d’abord un crayonné, puis l’encrage à la plume, mais je n’étais pas à l’aise avec ce procédé lamentable. Lorsqu’il y a cinq ans, j’ai commencé à improviser mes dessins avec un simple crayon bille sur une bête feuille de papier, j’ai été vraiment épaté par le résultat : le dessin était soudainement devenu vivant ! Ha… ça a été le début de la carrière de Mavado Charon !
En ce qui concerne mes publications, j’ai d’abord commencé à montrer mes dessins sur mon blog, et ils ont très vite été repérés par le rédacteur en chef de la mythique revue homo Straight to Hell basée à New-York. Il m’a encouragé à montrer mon travail, et j’ai commencé à être publié à partir de ce moment-là.
J’ai, bien sûr, de très nombreuses sources d’inspiration pour mon travail, mais tout est un peu mélangé. Il y a les choses de mon enfance, comme le manga post-apocalyptique Hokuto No Ken que je regardais à la télé quand j’étais petit; ou encore des jeux vidéo violents comme Mortal Kombat ou Final Fight, et même le catch ! Je peux aussi mentionner les films pornos gays, qui vont des productions extrêmes de Treasure Media Island aux grands classiques du studio Falcon en passant par des œuvres plus expérimentales, comme celles de Bruce LaBruce. En ce qui concerne le cinéma traditionnel j’ajouterai le chef d’œuvre méconnu Singapore Sling (1990) aussi les 3-4 premiers films de John Waters, Pink flamingo en tête ! Chose plaisante, Billy Miller a montré mon tout premier fanzine à John Waters, et il m’a dit qu’il avait adoré !
Je dois évidemment mentionner aussi la scène graphique internationale : j’adore les mouvements japonais Heta-Uma et Ero-Guro (avec le très grand Maruo en tête !), les bandes dessinées italiennes ultra-violentes des années 80 comme Ranxerox ou Necron, et bien sûr des fanzines et graphzines, comme ceux produits par Le Dernier Cri de Pakito Bolino ou United Dead Artists de Stéphane Blanquet… pour qui je prépare en ce moment une énorme bande dessinée d’ailleurs ! Parmi les dessinateurs que j’aime particulièrement, il y aussi C.F., entre autres !
Une autre de mes sources d’inspiration importante est l’artiste Henry Darger. Bien sûr parce qu’il a dessiné des scènes avec des centaines de personnages qui se torturent et s’entretuent, mais aussi parce que son travail parle de vengeance ! Ses Vivian Girls se vengent de tous les adultes qui ont tué et molesté des enfants innocents, et mes dessins sont aussi l’expression d’une vengeance. Celles des gens bizarres, pas conformes, les homos, les trans, les bi, les barjos, les monstres… qui se vengent de la normalité qu’on leur impose.
Mais ma source principale d’inspiration vient de la littérature ! Je lis énormément, et je me retrouve complètement dans les œuvres de Williams Burroughs, D.A.F. de Sade, Pierre Guyotat…
J’aime beaucoup l’idée que lorsque vous décrivez quelque chose, avec des mots ou des dessins, vous la rendez présente, vivante. Sans les écrits de Sade, Burroughs, Guyotat, je crois que je me sentirai seul, perdu dans ce monde. S’il y a une place pour moi c’est qu’avec leurs mots, ils ont créé un espace où je peux me réfugier pour vivre. Je ne me vis pas comme un grand artiste, mais je tiens à créer avec mes images pornographiques des espaces pour que d’autres puissent y vivre.
On peut tracer un chemin logique dans la littérature française,qui va des surréalistes à Bataille, avec Sade comme point de départ. Selon toi, d’où vient toute cette tradition ? Peux-tu l’expliquer comme le produit des religions hétérodoxes sur le territoire français ?
Il me semble juste de dire que, comme pour beaucoup d’autres, la religion a été quelque chose de fondamental dans la culture française, mais je ne pense pas que ce soit toujours aussi vrai. Et je pense que la culture française actuelle est tout autant issue de la libre pensée, des hérétiques. Les Philosophes des Lumières, ainsi que René Descartes ont aussi été très important : ce fut à mon sens le début d’une époque où l’on pouvait concevoir un monde sans dieu. Toute l’œuvre de Sade n’est qu’une violente déclaration de guerre contre l’idée de Dieu, et sa lecture a été fondamentale pour moi. Il a aussi été l’un des premier à parler librement d’homosexualité, de sodomie… mes dessins doivent beaucoup à Sade !
Tu m’as dit que tu te sentais plus proche de la littérature que de l’art graphique. Quand on regarde précisément ton travail, on constate en effet que tu travailles tes scènes chaotiques comme une narration, en racontant une histoire…
Je lis effectivement beaucoup plus de textes que de bande dessinées; Je vais rarement voir des expositions, ou dans les musées, et j’ai vraiment une culture très littéraire. J’ai d’ailleurs commencé à écrire des textes pornographiques quand j’étais adolescent, avant de me consacrer entièrement au dessin, qui est vraiment la façon dont je respire !
Avec mes dessins, j’essaie de rendre une certaine étrangeté, qui est vraiment propre au texte, selon moi. Beaucoup de dessins manquent de mystère, de dimensions… ça ne me produit pas toutes ces pétillantes explosions dans ma tête que me procure la littérature. Les textes me paraissent en général beaucoup plus proches du rêve que les dessins (même si paradoxalement les rêves nous paraissent très visuels). J’ai oublié de mentionner Abe Kobo parmi mes auteurs favoris. Si vous lisez La femme des sables, vous y trouverez différentes focales : des très gros plans (le monde des insectes, les grains de sable…) mais aussi une profondeur, une impression de vertige, avec ce trou que la femme doit faut sans cesse creuser sous peine d’être ensevelie. Je trouve que le film qui a été tiré de cette œuvre littéraire exprime très bien ce que j’essaie de faire en dessin, à partir des images que j’ai en tête !
Dans l’idéal, je voudrais que mes dessins soient assez « proches » pour qu’on puisse distinguer le grain de la peau de mes personnages, mais aussi comme s’ils étaient en même temps très « lointains »… C’est un peu dur à expliquer !
Quels auteurs as-tu lu quand tu étais plus jeune ? Aimes-tu Jean Genet ? Un de tes livres, publié par Re:Surgo, s’intitule “Burroughs on Tumblr”, je suppose donc que tu aimes particulièrement cet auteur ? Que lis-tu en ce moment ?
Une de mes révélations de jeunesse a été “Les 11000 verges” de Guillaume Apollinaire… ce livre est tellement porno, sale et drôle, je n’en reviens toujours pas ! Je me le suis procuré quand j’étais très jeune, sans doute vers 12-13ans : il existait dans une version de poche à un prix ridiculement bas, et il n’y avait aucune mention sur la couverture comme quoi il était interdit aux moins de 18 ans ! Je ne sais pas s”il y a quelque chose de grand dans la culture française, mais le fait qu’on puisse acheter librement ce type de texte me semble fabuleux !
J’ai pour le moment assez peu lu Jean Genet, mais je commence à m’y mettre et j’adore. Le monde qu’il décrit, de malfrats, de prostitués et de travestis, toute cette fange et cette trivialité qu’il élève au niveau poétique le plus élevé, cela me parle, bien évidemment !
J’ai un amour immodéré pour les œuvres de Burroughs, même celles qui sont moins connues, comme sa seconde trilogie (Cities of the Red Night, etc.) et j’étais vraiment heureux de pouvoir exprimer cet attachement dans un de mes titres, grâce à Re :Surgo !
En ce moment, je lis deux livres : Prostitution de Pierre Guyotat qui est un fabuleux travail de la langue autour d’un bordel pour garçon dans l’Algérie des années 60, et Héros de Denis Jampen. C’est un auteur français qui n’a écrit qu’un seul livre, dans les années 70, et qui n’a été publié que cette année ! Cela raconte les massacres et les viols commis par quatre soldats sur de jeunes garçons, dans une ville imaginaire… Là encore, le travail de la langue est expérimental et ardu, mais remarquable ! J’aimerais vraiment arriver à un tel résultat avec mes dessins !
La France a été le berceau de bien des avant-gardes. Quelle est la situation aujourd’hui ? Que se passe-t ‘il dans les domaines de la littérature, de l’art, du théâtre ? Y’a-t-il des artistes que tu veux nous recommander ? Que penses-tu d’Olivier de Sagazan par exemple ?
Là encore, je ne pense pas être le mieux placé pour en parler, je connais assez peu la nouvelle scène littéraire ou théâtrale. En dessin en revanche, je trouve qu’il se passe énormément de choses passionnantes sur la scène du graphzine et du fanzine ! Des gens comme François de Jonge (qui dirige SuperStructure) ou encore le collectif réuni autour de la Revue Collection (qui est en partie à l’origine des fabuleux graphzines Lagon ou Volcan) produisent des choses fabuleuses en ce moment, équivalant à la revue américaine Kramers Ergot des années 2000 ! J’aime bien aussi ce que font les anglais de la revue Mould Map… là encore, ce sont des sources d’inspirations importantes pour moi !
C’est amusant, je ne connaissais pas Olivier de Sagazan avant, mais je viens de regarder son site internet, et je trouve ça très fort ! Mon travail artistique est essentiellement un travail autour de la représentation en dessin du corps, et ce qu’il fait me parle beaucoup ! Merci.
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